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07/03/2011

Les valises diplomatiques d'Occident

LES VALISES DIPLOMATIQUES D’OCCIDENT

De la Révolution de jasmin au soulèvement des peuples du Maghreb

L’insurrection des peuples du Maghreb n’a pas tardé à soulever un sursaut d’enthousiasme chez ceux-là mêmes qui soutenaient les régimes dictatoriaux de la région. On se gorge, on se repait aujourd’hui du discours « droit de l’hommiste », on s’indigne (c’est à la mode, le succès de librairie du texte de Stéphane Hessel en dit long, et le vide sidéral qui le caractérise en termes d’analyse de la soumission de masse, de la servitude générale se passe de commentaires), des horreurs commises en Tunisie, Égypte, Libye, etc. Les thuriféraires de la bonne conscience occidentale, complices de ces régimes, n’ont de cesse de glorifier ces soulèvements au nom de la démocratie, de la liberté iront-ils jusqu’à dire. Nos champions gestionnaires de la misère techniquement organisée veulent croire ou faire croire que la tenue d’une consultation par les urnes est la seule chance de mettre fin au mouvement insurrectionnel, au-delà légitimer l’économie de marché pour un développement durable du désastre, rétablir une apparente cohérence des flux financiers, bref parachever au nom de la démocratie une exploitation de masse mieux consentie, puisqu’approuvée par un scrutin dont on peut d’ores et déjà se demander en quoi il relève de la geste démocratique au regard du maintien des élites qui, tortionnaires hier, deviendraient subitement quelque chose comme des représentants du peuple aujourd’hui. Bref la volonté d’une occidentalisation à marche forcée, par la primauté d’un néo-colonialisme que l’on se garde bien de commenter, devrait combler ceux qui, aujourd’hui, se sont soulevés contre la dictature des tyrans, notre vœu le plus cher étant de les soumettre encore davantage à la dictature marchande, c’est uniquement cette folle organisation du monde que nous défendons. Nos penseurs étatiques s’accommodent fort bien de l’idée de démocratie dès lors que celle-ci est rendue inconnaissable, dès lors qu’elle est soustraite à l’idée que les peuples sont susceptibles de prendre leur destin, leur vie en main et d’organiser la société sur la base des besoins réels, sur la base d’une production humaine au service de la vie historique, non au service des techno-sciences, structures et organismes de l’asservissement par le développement de l’hyperspécialisation, le tout couronné par le règne général de la police de la pensée que Georges Orwell dénonçait en son temps et qui aujourd’hui a envahi la totalité de ce que nous avons de plus en plus de mal à appeler l’humanité.

Mais il faut absolument que l’indignation l’emporte sur toute forme de révolte, toute pratique de l’autonomie révolutionnaire, quand elle ne la provoque pas. Encore une fois, les prélats de la démocratie dite « participative » se congratulent au niveau des États et plus largement de l’Europe et de l’ensemble du monde pour contenir, rendre caduc tout projet révolutionnaire dont le mouvement réel passe par la destruction de l’État et de ses institutions et qui ne se limite pas au renversement de régimes dictatoriaux, ou repérés comme tels, mais produit par sa pratique la dynamique qui conduit à la destruction de toutes les aliénations organiquement liées au Léviathan capitaliste armé de sa logistique techniciste, scientifique et policière.

Toute forme de contestation est immédiatement récupérable, celle-ci se transforme en son contraire dès lors qu’elle est traitée avec opiniâtreté par les spécialistes du pouvoir (politiciens, sociologues, journalistes et autres experts de l’organisation de la servitude et de son maintien) sur le mode d’un consensus général dans le cadre du parlementarisme institutionnel. Ainsi que le soulignent ceux de Tarnac dans un texte intitulé : Une proposition politique des mis en examen de Tarnac, paru le 24 février 2011 dans le journal Le Monde (nous reproduisons en annexe l’intégralité du document), « Il n’en reste pas moins que les doctrines contre-insurrectionnelles – l’art d’écraser les soulèvements – sont désormais la doctrine officielle des armées occidentales, qu’il s’agisse de les appliquer en banlieue ou dans les centres-ville, en Afghanistan ou place Bellecour à Lyon. » Écraser les soulèvements insurrectionnels, organiser le pourrissement et proclamer solennellement notre soutien aux peuples en lutte en les déclarant mûrs à devenir des électeurs afin de mieux définir une stratégie d’enlisement des conseils populaires autonomes, voilà le credo des puissants ; ainsi réduire et pour finir anéantir toute idée selon laquelle seul le peuple est en mesure de choisir son propre avenir en se débarrassant de toute contrainte représentative qui ne rendrait pas compte de sa volonté. Alors même que la bonne conscience indignée flirte de manière soft, il est vrai, « droit de l’homme » oblige, avec l’organisation de la répression contre-insurrectionnelle, la tendance incline à mettre en place – et toujours dans les termes d’une répétition générale, ce mouvement fut repéré il y a déjà bien longtemps –, dans les petites consciences citoyennistes, toutes les catégories du mensonge de la domination pour instaurer globalement l’idéologie de la peur. La menace terroriste est à cet effet une garantie de maintien et de justification de toutes les ressources policières, de toutes les répressions accréditant la création de cellules anti-terroristes toujours plus performantes et dont le travail consiste à criminaliser systématiquement toute remise en cause du système. Ceux de Tarnac et d’autres sont les exemples vivants de cette machination du pouvoir dont les ingrédients sont la diabolisation justifiant arrestation et incarcération. Pour ce faire, le recours au mensonge et à la fabrication de fausses preuves est monnaie courante, pratique admise et caractérisée depuis longtemps, c’est ainsi que, par exemple, l’on peut emprisonner Julien Coupat et nombre de ses amis sans avoir à produire la moindre preuve de quoi que ce soit, sur le simple fait que le soupçon reste et demeure suffisant et permet donc, au nom de la sécurité intérieure, de se constituer en preuve. Les preuves se fabriquent et le soupçon devient preuve à l’instar du mensonge devenu vérité dans la pensée ô combien actuelle de Georges Orwell. L’utilisation de la menace terroriste comme justification à la répression systématique de tout soulèvement ou action subversive est révélatrice de la fragilité des pouvoirs qui n’ont désormais d’autres moyens pour entretenir l’illusion de leur nécessité incontournable à la marche du monde, mais un pouvoir se renverse en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire lorsque les peuples décident de prendre en main leur destin, s’emploient à redéfinir les besoins réels ; lorsque les peuples se placent sur le terrain des « véritables divisions historiques ».

Mais qu’est-ce un monde où la déficience de la pensée et l’impéritie de ces petits soldats de la contestation s’en remettent à des pantalonnades telles que la « révolution par les urnes », cette emphatique antienne qui s’épanouit tel un coquelicot, dont l’éphémère n’est qu’une image, et qui se dilue avec force conviction dans l’idéologie d’une radicalité contrôlée par les tribuns de la gauche de « gôche ». Cette inflexion du sens, ce retournement du sens de la dynamique révolutionnaire est à n’en pas douter le crédit en soutien et en acte, et sans l’ombre de la simple apparence, aux pouvoirs, qu’ils soient dictatoriaux – entre les mains de « princes » dictateurs – ou dans le contexte plus diffus de la généralisation de la dictature marchande.

Que l’histoire balbutiante ne nous permette pas de faire des projections sur l’intensité avec laquelle les révoltes des peuples du Maghreb feront chapitre dans l’histoire de l’émancipation, ne nous empêche pas de regarder avec lucidité l’ampleur des moyens anti-insurrectionnels que les pays occidentaux de concert avec les États-Unis mettent en place, avec l’assentiment de la soi-disant raison du parlementarisme démocratique, pour asservir l’ensemble des peuples au seuil d’une révolution sociale. Les laboratoires expérimentaux de la répression sont fonctionnels et les élites policières de combat antiguérilla s’exercent à l’écrasement de tout soulèvement sur le terrain même de nos banlieues, ces « terres » de survie que le républicanisme nauséabond qualifie de « zones de non-droit ».

Les amis d’hier deviennent les ennemis criminels d’aujourd’hui et le mensonge s’instruit en vérité, de scoops en communiqués et de déclarations verbeuses en démentis régulés par la faconde médiatico-parlementaire, nous assistons depuis plusieurs semaines aux pantomimes de droite et de gauche, les uns à leur corps défendant ou dans le repentir condescendant, les autres dans l’invective servant de tremplin pour l’échéance de la très dérisoire et très inutile élection de 2012. La compassion symptomatique et la culpabilité retenue des gouvernants qui jouent du clairon en se déclarant responsables mais pas coupables ne masquent pas leur véritable préoccupation immédiate, à savoir la gestion des flux migratoires liés à la situation insurrectionnelle des pays du Maghreb, gestion qui s’appuie sur une politique longuement éprouvée, qui consiste en un rejet pur et simple de tout statut d’exilé politique et qui renvoie la notion d’asile à ce qu’elle a de plus abjecte, à savoir l’exclusion par le maintien en détention ou sous haute surveillance. C’est de cet asile-là que le pays des droits de l’homme s’arrange aujourd’hui, au nom de la sécurité et du maintien de l’ordre. Sauf à considérer qu’une clause particulière pourrait enfreindre cette loi d’airain mais seulement dans sa version spectaculaire où, par l’artifice de la reconnaissance, un « bon » Arabe serait promu au rang de héros emblématique, mais il faudrait au moins qu’il soit Prix Nobel, ce n’est pas gagné. Fermer nos frontières au nom de la sécurité nationale et de la lutte contre le terrorisme, c’est aujourd’hui un sujet de préoccupation qui anime les petites consciences désemparées devant le courage des peuples du Maghreb en lutte.

Ce n’est pas se retrancher derrière la facilité de l’amalgame que prétendre que les raisons d’une insurrection généralisée sont aujourd’hui évidentes, mais l’évidence ne tient malheureusement pas lieu de faits. Les peuples du Maghreb ont renversé les Ben Ali, Moubarak, bientôt Kadhafi, l’onde de choc réussira-t-elle à traverser la Méditerranée pour renverser les Sarkozy, Merkel, Berlusconi et consorts. Le vent de la révolte porte les germes des révolutions à venir.

Le 28 février 2011

Patrice Corbin